Découvrez la confrérie des Badouillards
Au XIXe siècle, le Quartier Latin pouvait s’enorgueillir de rassembler les confréries les plus folles d’Europe et, sans doute, les surréalistes se sont-ils nourris aux mamelles souvent alcoolisées de leurs esprits incontinents. Dans une surenchère sans fin, les étudiants préféraient bien souvent s’adonner à d’invraisemblables communions artistiques et littéraires plutôt qu’à leurs chères études, au grand dam de leurs parents… Bien avant les Hydropathes, les Zutistes ou encore les Hirsutes, voici donc la digne société des Badouillards, finement décrite par l’ami Privat d’Anglemont dont le passé turbulent au café Momus en faisait un observateur expert :
« Les étudiants, qui n’ont jamais cédé à personne en fait de folies, formèrent la société des Badouillards.
Ah ! c’étaient de rudes jouteurs que ceux-ci ! On passait des examens pour être admis dans cette société, absolument comme pour se faire recevoir docteur en médecine ou licencié en droit ; seulement, ces épreuves-là devaient être un peu plus dangereuses et fatigantes que celles qu’on subit aux facultés.
1° L’aspirant devait faire preuve de force et d’agilité, car il était alors convenu qu’il ne pouvait y avoir de bonne fête sans coups de poing et horions ;
2° Il devait fréquenter assidûment les salles d’escrime, de boxe et chausson, canne, bâton, savate, tirs, etc., etc.
3° Il devait avoir prouvé authentiquement son courage dans une ou plusieurs rencontres ;
4° À la Chaumière et aux bals de l’Odéon, on devait l’avoir distingué entre tous, par ses grâces chorégraphiques et sa façon élégante d’engueuler le pékin ;
5° Il jurait haine aux bourgeois, à leur sommeil et à leur repos, en fournissant un répertoire de chants et chansons politiques, érotiques et autres, capable de faire trembler toute une ville de province ;
6° Il devait passer une nuit au bal. On se préparait à cette épreuve, car c’était la grande, l’épreuve solennelle, la nuit d’armes, par un dîner des plus copieux, suivi de force libations de Champagne, punch, café, pousse-café, rincettes, sur-rincettes, bière et pousse-le-tout. Cela durait jusqu’à minuit, puis on entrait au bal. Là, encore, il ne devait rien refuser, il était tenu de faire tout ce que faisaient les vieux initiés. Le lendemain au déjeuner, il était tenu d’engueuler tous ceux qui se présentaient devant lui, la parole à la bouche, la blague aux lèvres.
Vous croyez peut-être que c’est fini, qu’après de tels exploits on n’a plus qu’à gagner son lit, à le faire bassiner et à se tenir cinq ou six jours à la tisane, à redouter une pleurésie ou une pneumonie, ah ! bien oui !
L’impétrant passait la journée costumé, courant de cafés en cafés, jouant au billard, courtisant les belles, et, le soir, on recommençait la même vie que la veille. Il ne devait se coucher que la troisième nuit à minuit. Ainsi il avait passé deux jours et deux nuits à subir son épreuve. Lorsqu’il n’était pas tombé sous la table, qu’il ne s’était endormi sur aucune banquette de café, qu’il n’avait reculé devant aucune proposition faite par les vieux, alors, mais seulement alors, on prononçait le : dignus est intrare.
Il était proclamé Badouillard.
Et il y en avait dix, vingt de ces sociétés : on citait les Pur-sang, les Bousingots, les Infatigables, etc., et tant d’autres dont les noms nous échappent. Celles-ci étaient composées de fils de familles, d’artistes et même de négociants, car tout le monde avait alors les mêmes goûts ; tout le monde se tuait en riant à gorge déployée.
C’était le temps où Eug. G. rencontrait un de ses amis et lui disait : "Ah ! je suis fatigué, voilà cinq jours que je suis en malin, cela m’ennuie ; je vais me mettre en bergère."
Ces hommes-là étaient de fer ; N. D. A..., un des grands noms du premier empire, partit le jeudi gras de chez lui, déguisé en postillon. Il passa les trois premiers jours du carnaval monté sur le premier cheval d’une voiture à six chevaux, et ne rentra que le mercredi des cendres à trois heures, après avoir passé toutes les nuits à danser et toutes les journées à festoyer.
Vous dire ce que pouvait coûter une fête aussi prolongée, les usuriers seuls peuvent le savoir. »
© Intérieur d’un café parisien « convenable » en 1830. Dessin du temps par Victor Adam.
Auteur de l’article : Philippe Mellot.
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