Alphonse Daudet, un familier des librairies des arcades du théâtre de l’Odéon
La rue de Rotrou (autrefois Molière) est restée longtemps célèbre grâce à un café littéraire – situé à l’angle des rues de Rotrou et de Vaugirard – que fréquentait une partie du gratin de la littérature parisienne. Succédant au Café du Luxembourg, sous le règne de Louis-Philippe, le Café Tabourey comptait dans sa clientèle des plumes aussi fameuses que Victor Hugo, Jules Janin, Baudelaire, Leconte de l’Isle, Barbey d’Aurevilly et quelques occasionnels comme Balzac, Murger, Flaubert et Rimbaud.
En face de l’illustre café, sous les arcades du théâtre de l’Odéon, deux ou trois libraires, semble-t-il, proposaient sur leurs étals les nouveautés littéraires mais aussi diverses éditions anciennes ou soldées. Cet espace fut longtemps et en grande partie occupé par la Librairie Taride, à laquelle succède Marpon et Flammarion en 1875.
Parmi les jeunes auteurs qui fréquentaient presque quotidiennement ces étals balayés par les courants d’air, l’un des plus assidus était le futur auteur des Lettres de mon moulin : Alphonse Daudet. Il nous a laissé dans son ouvrage Trente ans de Paris / À travers ma vie et mes livres, publié en 1888 – ce n’est que justice – par Marpon et Flammarion, un témoignage remarquable et émouvant sur cette époque de sa vie.
Monté à Paris en novembre 1857 pour y rejoindre son frère Ernest, Alphonse Daudet n’a que 17 ans et une ambition : faire une carrière littéraire. Son frère l’installe avec lui à l’Hôtel meublé du Sénat et des Nations, au n°7 de la rue de Tournon où loge également Gambetta, de 1858 à 1861, puis, quelques années plus tard, le formidable poète, astronome, chimiste, photographe, écrivain et inventeur (entre autres du phonographe et de la photographie en couleurs) Charles Cros. Le Quartier Latin est alors en pleine révolution : la rue des Écoles et le boulevard Saint-Michel ont été ouverts tout juste quelques années auparavant. « Le Quartier Latin !... Magique évocation d’ardente jeunesse un peu folle, mais belle et chantante », comme le décrira plus tard Émile Goudeau, hante les nuits du jeune Daudet depuis la triste période où il était pion dans un lycée du fin fond du Languedoc…
« À l’exception de mon frère, écrivait-il dans Trente ans de Paris, je ne connaissais personne. Myope, gauche et timide, quand je me glissais hors de ma mansarde, je faisais invariablement le tour de l’Odéon, je me promenais sous ses galeries, ivre de frayeur et de joie à l’idée que j’y rencontrerais des hommes de lettres. Près de la boutique de Mme Gaut, par exemple, Mme Gaut, déjà vieille, mais des yeux étonnants, brillants et noirs, permettait de parcourir les livres nouveaux exposés sur son étalage, à la condition de n’en pas couper les feuilles. Je la vois causant avec le grand romancier Barbey d’Aurevilly : elle tricotant un bas ; l’auteur d’Une vieille maîtresse, le poing sur la hanche ; « à la mérovingienne », le coin de son manteau de roulier, doublé de beau velours noir, rejeté en arrière, pour que chacun puisse se convaincre à la somptuosité de ce vêtement, modeste en apparence.
Quelqu’un s’approche, c’est Vallès. Le futur membre de la Commune passait presque tous les jours devant chez Mme Gaut en revenant du cabinet de la « mère Morel » où il avait l’habitude d’aller dès le matin travailler et lire. Bilieux, moqueur, éloquent, toujours revêtu de la même mauvaise redingote, il parlait d’une voix rude et métallique dans sa sombre physionomie d’Auvergnat qu’enveloppait une barbe dure, en brosse, atteignant presque les sourcils ; cette voix me rendait nerveux. (…) »
En 1859, Daudet tente de placer son premier recueil de poésies, essuyant les refus de la plupart des maisons d’éditions parisiennes. Finalement c’est Tardieu, dont la librairie est… rue de Tournon, à deux pas de l’Hôtel du Sénat, qui éditera son œuvre : Les Amoureuses.
« Le titre attirait, et l’extérieur élégant du volume. Quelques journaux parlèrent de mon ouvrage et de moi. Ma timidité s’envola. J’allais vaillamment sous les galeries de l’Odéon voir comment marchait la vente de mon livre… et même j’osai, au bout de quelques jours, adresser la parole à Jules Vallès ! J’avais paru. »
© Galerie du théâtre de l’Odéon, côté rue de Rotrou. Photographie anonyme du 17 septembre 1917.
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