Portrait d’Hubert Nyssen, ou cette douce folie que d’éditer un livre
Je referme le livre [1], le cœur embué par ces lignes d’Hubert Nyssen que j’accueille, humblement, comme l’héritage d’une folie qui se sait sage…
Ce texte, tardif dans la bibliographie d’Hubert Nyssen n’est pas le compte-rendu d’un vieux sage sur sa vie en tant qu’éditeur. Ce sont 7 fenêtres choisies qui ouvrent sur le monde de l’édition ; car, nous confie Hubert Nyssen, nous pouvons y pénétrer de bien des manières : par la folie, le hasard, l’errance, la sagesse, la lecture, l’écriture. Mais toujours animé par un seul et même feu : celui du désir.
Cette tentation pour la folie, Hubert Nyssen l’a eue très tôt avec sa grand-mère, fée Carabosse devenue « reine des fées » à ses yeux d’enfant, quand celle-ci lui raconta l’histoire de Don Quichotte, autre visage de la folie, touché par la douce confusion du rêve et de la réalité. Quel personnage de la littérature autre que Don Quichotte pouvait mieux incarner le propos d’Hubert Nyssen ? Lui qui plus tard, n’aura de cesse de mêler la littérature à sa vie, de démêler le vrai du faux, la folie de la sagesse.
Être éditeur, c’est allier le rêve, le vouloir et le pouvoir, ou plutôt le réalisé, le fait. Le pragmatisme, alternative au rêve, va très vite se rappeler au jeune destin de l’éditeur, encore étudiant et déjà désireux de publier les textes qui le touchent. Il fonde avec quelques amis ce qu’il appelle une « maisonnette d’édition », qui ne publiera qu’un seul livre. La deuxième tentative se fait par le théâtre, avec l’envie de prolonger dans le livre la performance d’un texte sur scène. Targué là encore d’être déraisonnable, il ne publiera que quelques textes et quittera « sur la pointe des pieds » le monde de l’édition, décidément trop sage pour ses désirs naissants. Tel est pris qui croyait prendre, c’est finalement en se faisant éditer [2] qu’il est devenu éditeur.
Et quand il a s’agit pour Hubert Nyssen de publier son premier ouvrage, cela se fit dans l’inconscience, la surprise. C’est en rencontrant un géographe autour d’un projet de livre sur l’Algérie qu’il créa un « Atelier de cartographie thématique et statistique » ou, pour le dire brièvement, que ACTES vit le jour. Ayant pris connaissance de cet atelier nouveau, l’université de Marseille lui demanda de concevoir un atlas régional, ce qu’il fit. Hubert Nyssen venait d’éditer son premier livre.
« Actes Sud » était né, et de là s’en est suivie une succession d’audaces pour son fondateur : il créait une maison d’édition sans fonds propre, une maison d’édition littéraire alors qu’il en existait déjà des dizaines, faisant une part belle à la littérature étrangère de surcroît ; il choisissait de s’établir en province, quand Paris cristallisait les vues de tout le petit monde de la littérature. Mais il justifiait ses choix auprès de ses détracteurs comme il l’exprime dans cet essai : « entrer dans l’édition, c’est entrer dans la crise. Et c’est fort bien ainsi. La crise attise la détermination ». Dès lors, tout semblait possible. L’éditeur est un « découvreur » de par les œuvres qu’il édite et un créateur de par le catalogue qu’il constitue.
Dans toutes ses aventures d’éditeur, le but premier n’a jamais été de bien vendre. Hubert Nyssen insiste bien sur un fait : il ne veut pas être un marchand de texte ; l’éditeur ne doit jamais faire de commerce. L’éditeur est un passeur de sens et d’émotions et, s’il doit anticiper le désir de son auteur, il doit en revanche songer avec prudence et en faisant des choix, à ceux des lecteurs. À trop vouloir anticiper le désir, on finit par le tuer.
L’éditeur doit au fur et à mesure bâtir, à travers son catalogue, une vision qui prend chair dans les livres qu’il publie et qu’il construit dans sa relation à l’auteur et au lecteur. L’écriture est le « lieu de rencontre de trois folies ». Or, Hubert Nyssen constate amèrement que l’écriture est de moins en moins le premier critère du choix éditorial. Beaucoup de nouveaux écrivains semblent, selon l’éditeur, suivre un « modèle de performance » plutôt qu’un modèle littéraire. Ce contre quoi il essayera de lutter toute sa vie, pour ne pas avoir à se soumettre à ce choix tragique. Être fou ou être sage. Dans cet essai, Hubert Nyssen ne tranchera d’ailleurs jamais.
Il posera en revanche cette question à maintes reprises et à laquelle toute personne désireuse de devenir éditeur devrait songer : pourquoi (et pour quoi) choisit-on de publier un livre aujourd’hui ? Pour Hubert Nyssen, une seule réponse - la seule qui peut sauver de l’impitoyable choix - le désir, et de citer Dante « tout espoir envolé, il nous reste le désir. »
Ce désir, omniprésent qui renferme le texte de La Sagesse de l’éditeur, commence justement par un désir physique, palpable, celui du livre. Le lecteur, avant d’aimer un texte, peut-être même pour aimer un texte, doit aimer l’objet qu’est le livre. Il porte un propos, le protège, il est ce qui fait « obstacle à l’oubli » ce qui se transmet quand l’oralité n’est plus possible. Quand on aime un texte, on ne pense pas au texte brut, mais à un livre, à sa couverture, au titre qui l’orne. La fabrication d’un livre est donc partie prenante du métier d’éditeur : le livre n’est pas qu’un habillage, c’est une invitation à la pensée, « à la connaissance intime ». Cette étape de la fabrication du livre est donc délicate puisqu’il s’agit pour l’éditeur de manier un art subtil : celui « de la séduction combinée avec celui de la discrétion ». L’objet livre doit se faire oublier le temps de la lecture, et réapparaître au moment où l’on referme le livre.
[1] La Sagesse de l’Éditeur, Hubert Nyssen, L’œil Neuf, 2006
[2] Les Voies de l’écriture en 1969, puis le roman Le Nom de l’arbre publié chez Grasset en 1973.
La Sagesse de l’Éditeur, Hubert Nyssen, L’œil Neuf, 2006.
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